Lu pour vous

Cachez ce sein!

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Ou ce jean, blanc et moulant! Ou ce déhanché! Car c’est ce que nous avons entendu récemment à propos de Sanna Marin, Première Ministre finlandaise, dont une vidéo qui la montrait dansant dans une soirée privée, a déclenché le scandale.

« Je suis un être humain. J’aspire parfois aussi à la joie, à la lumière et au plaisir au milieu de ces nuages sombres » a-t-elle dû se justifier larmes aux yeux, ajoutant qu’elle n’avait jamais manqué un jour de travail, allant même jusqu’à accepter un test de dépistage prouvant qu’elle ne se droguait pas, tant les réactions l’accablant ont été violentes.

Pourquoi le corps des femmes pose-t-il toujours autant de problèmes? Trop couvert (voile, burkini), pas assez couvert (longueur de la jupe, seins découverts) ou cette fois en mouvements libres et joyeux dans la danse, nous rappellant l’ostracisme de Pierre de Coubertin qui avait interdit l’accès des femmes aux Jeux Olympiques, car une femme sportive était trop laide? De quoi s’agit-il vraiment?

Pas de bras nus!

Dans une histoire pas si lointaine, on excluait les femmes de l’université… Dans un numéro de la revue Travail, Genre et Sociétés ( 4- 2000, édité par L’Harmattan, Dossier Histoires de Pionnières) Delphine Gardey, historienne, évoque les difficultés rencontrées par les femmes à la fin du siècle dernier. Pouvaient-elles assister aux séances du soir de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ? « La présence des femmes n’est-elle pas, en effet, toujours source de compromission, de dérèglement, voire de déchéance ? (…) les femmes apportent ce qu’elles sont pour une époque dans les lieux qu’elles occupent : ici en cette fin de siècle, elles apportent leurs humeurs, leurs corps éminemment sexués (…). Elles sont encore le beau sexe, c’est-à-dire la tentation, la perdition ».

Et Carole Christen-Lécuyer, dans le même opus, nous raconte qu’à la Sorbonne en 1893 « des arrangements sont alors faits afin que la cohabitation des deux sexes soit possible. Des places spéciales leur sont réservées dans l’hémicycle où elles sont isolées et regroupées ». (…) « objet de désir » et de curiosité pour les étudiants, les femmes doivent inventer de nouvelles figures de féminité pour s’imposer dans cet espace masculin : « Pour la toilette (des étudiantes), simplicité de bon aloi, mais, il me semble pas de bras nus qui peuvent, qui doivent donner des distractions aux voisins, et, qui sait peut-être même au professeur » (ces conseils émanent du Figaro du 28 février 1926 sous la plume d’Achille Mestre). (…) D’emblée est posée l’antinomie entre le « cerveau » et la « féminité », et l’ « étudiante » et la « femme ». »

 Eviter la blonditude

Pendant longtemps dans les entreprises, les seules femmes à côtoyer le pouvoir furent les secrétaires. Rôle éminemment féminin. Les femmes qui tentèrent ensuite de percer le plafond de verre, durent à tout prix s’en différencier. Dans le vêtement aussi. On comprend mieux la stratégie de neutralisation adoptée par bien des femmes. Démarrer dans la vie professionnelle implique de se fondre dans son environnement. Or il est masculin ! A nous le costume pantalon gris ou bleu foncé. Evitons tout ce qui est « trop », maquillage, parfum, couleurs, bijoux, qui signeraient notre « blonditude ».

Certaines, en effet, vont jusqu’à dire qu’être blonde entraînerait une discrimination négative lors d’un recrutement. Plus que la couleur réelle du cheveu, il importe surtout de ne pas « avoir l’air d’une blonde». Depuis Freud, on sait les rapports entre l’inconscient et le mot d’esprit. Le mot d’esprit livre le fond de la pensée. On y retrouve ici l’antinomie du 19 e siècle entre cerveau et féminité ! Dans les années 60, il n’y avait pas d’histoires sur les blondes, mais on disait couramment : « Sois belle et tais-toi !». On nous répétait qu’une femme intelligente faisait peur aux hommes. Le temps n’était pas loin, dans lequel la mère de Françoise Dolto lui interdisait de faire des études, car elle en serait fatalement condamnée à la relégation du célibat.

Il fallut donc prouver que les femmes étaient des hommes comme les autres, munies d’un cerveau. On leur a ensuite demandé de prouver qu’elles étaient « encore des femmes » !

Séduction et rapport de pouvoir

Deborah Tannen  dans un chapitre intitulé « Qu’est-ce que le sexe à avoir avec ça ? », nous explique la crainte des hommes face aux femmes par la perte de contrôle provoquée par la séduction. C’est-à-dire par le pouvoir sexuel que les femmes prennent alors sur eux. Or, les hommes, au sein d’un groupe et en particulier dans l’entreprise, se situent d’emblée dans une relation de pouvoir. C’est la norme qu’ils ont intégrée quand ils étaient enfants dans les groupes de jeux. Ceux qui parviennent au pouvoir sont généralement très conformes à la norme.

Le décolleté assignerait alors à l’homme la place de dominé. Quand une femme atteint un niveau de responsabilités, elle est perçue, nous dit Deborah Tannen, comme cherchant à prendre le pouvoir sur les hommes. Ainsi, ajoute-t-elle, si l’on dit souvent que le harcèlement sexuel n’a pas tant à voir avec le sexe qu’avec le pouvoir, le fait qu’il s’agisse de sexe n’est pas sans rapport. Et il peut être aussi le fait d’un subordonné ou de pairs. Une forme courante d’insubordination serait de fixer les seins d’une femme pendant qu’elle parle. Manière, consciente ou non, de lui dire : « Tu es une femme, et ce qui m’intéresse c’est ton sexe, pas ton cerveau, ni ton autorité ou les mots que tu prononces ». L’homme renverserait ainsi le rapport de pouvoir.

Plus récemment Ce cher Emmanuel Todd ne dénonçait-il pas le danger que l’émancipation des femmes, le féminisme, la question du genre nous faisait courir, autant de sujets représentant pour lui «la descente aux enfers conceptuelle de l’anthropologie » ? Pas moins!

N’est pas encore venu le temps où une femme au pouvoir cessera d’être un danger pour un certain nombre d’hommes! C’est ce qui vient d’être fait à une femme Première Ministre, Sanna Marin, la réduire à un corps sexué. Bien sûr dénué de cerveau!

                                                                                                        Laurence Dejouany

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