Vous venez dans un monde qui n’était pas conçu pour cela

 

Introduction au colloque du Cercle InterElles, 7 mars 2003.
Marie-Claude Peyrache, Directrice de la communication, France Telecom
Jean-Jacques Damlamian, Directeur exécutif Recherche et Développement, France Telecom

M-C-P – Je voudrai d’abord vous souhaiter la bienvenue à tous et à toutes pour cette journée que nous voulons chaleureuse, riche, un peu pour nous. Je remercie les quelques hommes qui ont accepté d’être là aujourd’hui, nous en sommes très heureuses, pour partager nos expériences et contribuer aux actions que nous menons. Et puis c’est quand même notre journée, alors profitez-en !

J’espère bien que ce colloque et puis le cercle InterElles vont contribuer à apporter une pierre de plus dans le développement de la mixité dans nos entreprises.

Je crois que ce cercle InterElles est né du hasard et de la nécessité. D’abord du hasard, parce que c’est un peu des rencontres avec quelques-unes des femmes qui sont présentes aujourd’hui ici qu’est née l’idée de ce cercle. La plupart était dans des réseaux de femmes qui avaient été créés, développés au sein de leur entreprise. Quelques-unes essayaient de développer ces réseaux et nous nous sommes dit entre nous que la mixité avait plus de chance de se développer si nous nous en occupions nous-mêmes. Nous nous sommes donc lancées.

Le premier colloque a eu lieu l’année dernière. Certaines d’entre vous étaient présentes. Il a duré une journée et nous avons décidé qu’il fallait continuer, aller plus loin. Nous nous sommes réunies régulièrement, environ tous les mois, pour travailler sur des actions avec pour objectif commun de s’occuper de nos entreprises qui sont toutes d’origine technologique et dans lesquelles la mixité est donc moins prégnante. L’objet du cercle est de développer les carrières de femmes et la mixité au sein de nos entreprises. Le cercle se trouve, avec le colloque d’aujourd’hui, encore un peu plus concrétisé.

Marie-Claude Peyrache est maintenant responsable du programme BoardWomenPartner


Comment pouvions-nous travailler dans un univers où il n’y avait pas une seule femme ?

J-J-D – Je viens vous encourager. En effet, quand je rassemble mes souvenirs à l’école, au lycée, en classe préparatoire, à polytechnique, je n’ai jamais eu de femme à côté de moi. J’ai vécu dans un univers éducatif entièrement masculin. Durant toute la sélection que j’ai vécue avant d’arriver dans le monde du travail, c’était un monde masculin. Dans le corps des agents de télécommunication, dans lequel je suis rentré, il n’y avait pas une seule femme. Et c’est très tardivement qu’il y a eu des femmes.

Donc en fait nous venons d’un monde qui est anachronique par rapport à la vision d’aujourd’hui. C’est un peu comme lorsque j’explique les progrès de la technologie, je dis que quand j’ai commencé à travailler, je faisais 300 mètres pour aller faire une photocopie ! Comment pouvions nous travailler à l’époque ? Et bien je pense qu’à l’avenir nous nous poserons la même question : comment pouvions-nous travailler dans un monde où il n’y avait pas une seule femme ? Comment pouvions-nous nous familiariser avec la vie que nous aurions plus tard si nous ne fréquentions pas une femme dans la vie de tous les jours ? Je ne veux pas dire la vie privée où c’est peut-être un peu différent.

Nous sommes donc en fait en partie conditionnés par cela et probablement vous avez à cheminer dans une période de transition. C’est toujours difficile une période de transition. Ne vous étonnez pas des difficultés que vous rencontrez ! Vous venez dans un monde qui n’était pas construit à l’origine pour cela et qu’il nous faut transformer ensemble pour vivre mieux.

M-C-P – Pour ma part, j’ai eu un parcours totalement différent de celui de Jean-Jacques. Je suis née dans un village où on ne pouvait se permettre le luxe d’avoir deux écoles. J’ai eu une chance folle, toutes mes études je les ai faites en mixité totale. Comme à l’époque la France n’était pas très avancée quant aux études, je voulais faire HEC, ce n’était pas encore ouvert aux femmes, j’ai dit bye bye la France et je suis allée à Montréal avec toujours dans l’esprit d’aller dans des écoles mixtes.

J’ai eu de la chance à France Télécom de tomber sur des chefs éclairés, ouverts, qui m’ont permis de faire ma carrière. Je dirai que c’était peut-être plus facile, je ne dirai pas trop facile. Je n’ai peut-être pas eu les difficultés dont parle Jean-Jacques. Je me souviens très bien de Jacques Dondoux, ce directeur général qui avait accepté que j’aille ouvrir le premier bureau France Télécom au Japon. A l’époque il me disait que pour ne pas faire de discrimination, alors qu’il y avait beaucoup d’hommes dans les postes de direction, les gens s’appelaient par leur nom de famille dans le milieu masculin. Le jour où le comité exécutif a basculé du nom au prénom, c’est du jour où j’y suis rentrée. Cela a pris un mois. Quand Jacques Dondoux m’appelait au téléphone, il me disait « Peyrache ! » en soulignant qu’il ne pouvait m’appeler autrement, sinon il ferait une différence entre les hommes et les femmes !

Aujourd’hui, nous allons partager nos expériences et nos actions. Toutes les entreprises qui sont là aujourd’hui travaillent sur des actions pour augmenter la mixité. Nous allons ouvrir ce colloque avec la question que nous avons choisie avec notre petit groupe. A savoir : est-ce que l’esprit d’innovation peut rencontrer l’esprit féminin ?