Le jeu des codes en entreprise et des marques de la féminité

Le jeu des codes dans l’entreprise et des marques de la féminité. Une enquête du Magistère de sciences sociales, sous la direction de D. Desjeux et Sophie Alami, commanditée par Interelles pour mieux comprendre leurs enjeux sur les carrières et les comportements des femmes. Synthèse présentée le 8 mars 2006

Les codes vestimentaires : s’affirmer comme une professionnelle

Pour s’adapter à l’environnement professionnel le premier réflexe consiste à se fondre dans la masse physiquement. C’est valable pour les hommes comme pour les femmes en début de carrière. La seule règle dans ce cas est de ne pas être trop apparente, pour ne pas dire invisible.  Donc dans un milieu masculin une femme ne devra pas mettre en avant sa féminité.

Eviter couleurs, maquillage, accessoires, parfum.

A cela apparaissent plusieurs justifications. S’affirmer comme une professionnelle, plutôt que comme une femme. Ne pas susciter des comportements de séduction, généralement réprouvés. Le temps de construire leur crédibilité et leur identité professionnelle, les femmes se doivent d’adopter une tenue « neutre » au regard des hommes. Il y aurait bien ainsi un rite d’intégration, qui se traduit avant tout sur le plan physique. Mais il est possible aussi pour certaines femmes de faire le choix d’un code masculin, « jamais de jupe », pour se positionner à l’égales des hommes.

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L’enjeu pour une femme est également de ne pas apparaître comme une « femme objet », de donner à voir l’état d’esprit dans lequel elle vient au travail: pour accomplir son travail ou pour mettre en avant auprès des hommes ses atouts féminins. Pour évaluer leur légitimité professionnelle, le critère de l’apparence physique ne semble pas pris en considération pour les hommes, quand il est une condition essentielle pour les femmes: « On s’autorise plus difficilement certaines marques de féminité. Il y a des histoires sur des remarques pas agréables de femmes qui seraient trop féminines, entre les jupes, les robes, les bijoux, le maquillage… » (Sandra, 27 ans, Chargée de relations)

Certaines femmes peuvent chercher à se démarquer de ces codes dans un deuxième temps. Manifester les marques de leur féminité peut être un moyen de montrer qu’elles ont acquis une reconnaissance professionnelle. Elles le signifient alors par des choix vestimentaires codés féminins, jupes, couleurs. Ce peut être une manière de prouver physiquement une prise de position professionnelle dans l’entreprise. Ce peut être aussi pour de jeunes femmes un moyen de s’affirmer par la rébellion en se jouant des normes et des codes.

 

Mais il y a alors 2 tensions à gérer: avec le regard des hommes portés sur des vêtements jugés trop féminins, et le regard des femmes qui peuvent juger cela négativement. Cependant la référence à des habitudes vestimentaires acquises avec l’université ou les grandes écoles (HEC par exemple), peut légitimer l’élégance et les marques de féminité et ne plus être un facteur de discrimination. Puisqu’il s’agit alors d’une culture d’appartenance appropriée au service du travail.

 

Les relations avec les collaborateurs : respecter les normes masculines

La frontière entre la sphère professionnelle et la sphère privée, intime, se marque par l’usage des banalités dans les conversations. La sphère privée et plus particulièrement intime semble incompatible avec la sphère professionnelle ou du moins il ne faut pas que cela soit visible. Mais les conversations auraient changé avec l’arrivée des femmes dans l’entreprise.

Les lieux communs sont sexués: on ne puise pas dans les mêmes thèmes de conversation s’ils s’adressent à un homme ou à une femme.

La femme manager doit respecter des normes dominantes de masculinité pour être légitime dans l’exercice de sa fonction. Elle s’attribue aussi un rôle de médiatrice des comportements hommes/femmes en entreprise. Elle incite les femmes à adopter certains comportements pour être crédibles dans un environnement à dominante masculine, elle encourage les hommes à adopter un comportement égalitaire. Toutefois cela reste très marqué par des formes de respect des non-dits de la virilité.

Cet équilibre, dont ne se sentent pas en charge les hommes managers contrairement à leurs homologues femmes, est un nivellement des comportements des femmes vers celui des hommes. Il est exprimé en termes de handicap pour les femmes: manque de confiance, de faire savoir définissent le déficit de valeur des femmes par rapport aux hommes. L’image émotionnelle de la femme est aussi désignée par ces femmes managers comme un handicap dans le milieu du travail. Il ne faut pas pleurer, être « hystérique », c’est dévalorisant. Par contre les émotions comme la colère, que manifestent les hommes, sont mieux légitimées, parce que viriles.

Pour les femmes managers les femmes subordonnées doivent établir une frontière entre la « femme » et la « professionnelle ». Les femmes managers incitent les femmes à respecter les codes vestimentaires. Elles considèrent la séduction comme un mode de construction des relations utilisé par certaines femmes subordonnées (les secrétaires), et c’est une source de difficultés entre elles.

L’ambiguïté de la femme manager est que par sa mission de médiation, elle défend une normativité des comportements qui doivent reproduire les normes sociales de la virilité, et parfois même vis à vis des hommes: « J’avais un subordonné qui allait chercher ses enfants à l’école, je lui ai dit que ce n’était pas la peine de le dire que c’était pas bien vu dans l’esprit de l’entreprise car c’est vu comme une non implication dans le travail de l’entreprise mais pour les femmes ça se passe plus facilement car c’est admis ». (Martine, 51 ans, Ingénieur)

 La femme manager est tenue d’inventer d’autres façons de manager son équipe en anticipant le comportement du groupe avec qui elle travaille pour respecter les non-dits de la virilité.
La femme manager doit en permanence ajuster sa communication, selon qu’elle s’adresse à un homme ou à une femme.
Ses sujets de conversation, mais aussi la façon de donner un ordre ou de faire une critique seront différents dans la forme linguistique comme dans le ton. Si elle dit « j’aimerais bien » son ordre ne sera pas suivi d’effet auprès d’un homme. Mais cette formule est bienvenue avec une femme. Par contre, si elle adopte un ton d’autorité trop direct les hommes la trouveront agressive. Et sa légitimité sera contestée par l’ensemble des hommes, que ce soit ses collaborateurs ou son manager.

 

Le management est donc une activité beaucoup plus coûteuse mentalement pour les femmes que pour les hommes du point de vue relationnel.
Présentation de l’enquête sur ce site 
Etude réalisée avec l’appui de InterElles (Air Liquide, EADS, EDF, ESA, France Telecom, General Electrics, IBM, Schlumberger) et Total
Direction scientifique : Dominique DESJEUX, Professeur d’Anthropologie sociale et culturelle à l’université Paris 5, Sorbonne
Tutorat méthodologique assuré par : Sophie ALAMI, Mélanie ROUSTAN, avec le soutien d’Anne MONJARET

Équipe Projet : Solen BERHUET, Mariane BONNET, Faïrouz BOUMHAOUSS, Eric NGUYEN, Juliette PETIT-GATS, Elodie RAIMOND, Kirija SUNTHERASWARAN, Pauline VIGNEAUD