Marie-Christine Saragosse

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« La mixité est une très bonne idée: je ne sais pas qui l’a eue, mais c’était une excellente idée et je m’en réjouis !!! » – 7 mars 2013

Marie-­Christine Saragosse est la première femme (et la seule) à avoir pris la tête, en tant que Présidente Directrice Générale d’un groupe média audiovisuel français à rayonnement mondial, l’Audiovisuel Extérieur de la France (l’AEF).

Femme de la Méditerranée, née en Algérie, poussée par les vents de l’Histoire vers les rivages de la Provence, sa famille s’installe à Cannes. Après Sciences Po-­Paris et l’EHESS Marie-­‐Christine sort de
l’ENA en 1987 dans la promotion Fernand Braudel, ce grand maître de l’histoire de la Méditerranée, et
démarre sa carrière au Service juridique et technique de l’information (le SJTI) au ministère de la Communication. Tour à tour, au Cabinet de Catherine Tasca, ministre déléguée à la Francophonie puis au ministère des Affaires étrangères, Marie-­‐Christine rejoint en 1997 TV5 dont elle devient Directrice générale déléguée en 1998 et Vice-­‐Présidente en 2001. Après avoir été la directrice pendant deux ans de la coopération culturelle et du français au Quai d’Orsay, elle est nommée en mai 2008 directrice générale mandataire sociale de TV5 dont elle fait en quelques années la plus grande chaîne généraliste du monde et un outil de rayonnement exceptionnel au service de l’ensemble des pays de la Francophonie.

Depuis le mois d’octobre dernier, Marie-­‐Christine dirige l’Audiovisuel Extérieur de la France, ensemble regroupant France 24, Radio France Internationale (RFI) et Radio Monte Carlo Doualiya. Engagée pour la cause des femmes, battante, meneuse d’hommes et de femmes, elle conjugue avec talent, émotion et fermeté: elle a créé un portail intitulé Terriennes où les femmes du monde entier peuvent s’exprimer, mené une grande bataille contre l’excision.

Marie-­‐Christine a publié un roman qui parle de l’Algérie, de la vie de sa famille, là-­‐bas, de son père aujourdhui disparu: Temps ensoleillé avec fortes rafales de vent. Comment ne pas y voir une métaphore de la vie, de sa vie de femme, de la vie de toutes les femmes ? Une invitation au dialogue avec toutes celles dont les vies sont souvent faites de «temps ensoleillé avec fortes rafales de vent»?

Comment s’est construite votre prise de conscience de féministe? Est-­‐ce qu’on naît féministe ou est-­‐ce qu’on le devient?
J’ai eu la chance de naître dans une famille très moderne ou il n’y avait pas un rôle pour la femme et un rôle pour l’homme: ce fut un sacré atout pour grandir sans tabous. Je me suis donc longtemps crue universelle comme le sont naturellement les garçons. J’ai eu un vrai choc en intégrant Sciences Pô où un maître de conférence nous a annoncé que nous les femmes étions là pour trouver un mari, alors que les hommes étaient là pour préparer l’ENA. C’est pourquoi j’ai fait l’ENA et… trouvé un mari à l’ENA !!! Ensuite j’ai mis du temps à prendre conscience des stéréotypes qui conditionnaient le statut des femmes, voire les femmes elles-­‐mêmes.

Vous avez accédé très rapidement dans votre carrière à des postes de direction: est-­ce que votre engagement féministe a eu une influence sur votre mode de management? Peut-­‐on parler d’un leadership au féminin?
J’ai été très intéressée par l’atelier Emotion et Intuition de ce colloque, car j’ai découvert tout à coup que l’émotion et l’intuition étaient effectivement importantes pour moi dans ma vie professionnelle. Mes émotions font partie de mon mode de management et je suis heureuse de constater que c’est une donnée positive. Par exemple, j’aime organiser une fois par an une fête, une vraie fête: méditerranéenne, j’aime danser, une bonne façon de casser les barrières entre les gens et de créer un esprit d’équipe.

Votre position de dirigeante de média vous donne des responsabilités particulières et des capacités d’action considérables: quelles sont-­elles et comment gérez-­‐vous les unes et les autres?
En tant que dirigeante, je fais en sorte que le comité de direction soit paritaire. L’humanité est composée à 50% d’hommes et 50% de femmes. Je ne sais pas qui a eu cette idée, mais c’était une excellente idée et je pense qu’il faut continuer à la respecter! Il faut cultiver la mixité à tous les niveaux et ne pas refuser les quotas, voire un peu de coercition. Dommage, car j’aimerais que les hommes prennent conscience de cette nécessité sans gendarme! Un média a en plus un rôle particulier car c’est une caisse de résonance qui peut faire évoluer la société. Un exemple: sur un plateau avoir 30% de femmes peut faire changer le débat. Mais les femmes, qui restent rares, ont trop souvent sur les plateaux le rôle de victime ou de témoin, et rarement celui d’expertes porteuses d’une parole non sexuée, universelle. C’est vrai que cela suppose encore d’être très volontariste, car il faut chercher les femmes et en plus elles ont souvent un manque de confiance. J’en suis un exemple: j’ai démissionné de mon poste au CA d’Air France/KLM, car je trouvais que je n’avais pas le temps suffisant pour préparer les dossiers et pour contribuer valablement en raison de mes nouvelles fonctions. Je pense avoir réagi en bonne élève scrupuleuse. La vraie libération ce serait de revendiquer le droit des femmes à la nullité!!!

Pouvez-­‐vous nous dire quelques mots sur le champ d’action spécifique qu’offrent des médias à dimension mondiale, notamment lorsqu’il s’agit, conformément à la mission de l’Audiovisuel extérieur de la France, de faire entendre une voix, celle de la France?
Dirigeante d’un média international, je me suis particulièrement battue contre l’excision qui pour moi est une barbarie infligée aux petites filles, au coeur même de leur féminité. Au nom de la France qui est une terre de valeurs universelles, les médias de mon groupe ont une responsabilité pour faire
évoluer les mentalités sur ces graves questions.