Femmes et Santé

ENTRETIEN AVEC CHANTAL BIRMAN, SAGE-FEMME

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ENTRETIEN AVEC CHANTAL BIRMAN,
SAGE-FEMME 

Chantal Birman, première Sage-femme à recevoir la Légion d’honneur répondait aux questions de Justine Mills, secrétaire du Cercle InterElles, et nous fit l’honneur lors du colloque 2022 d’un discours de vérité tant thérapeutique qu’énergisant.

Regardez la vidéo  de ce grand témoin bouleversant : Chantal Birman, sage-femme à la retraite et plus engagée que jamais pour la liberté des femmes.

Ou lisez son interview par Justine Mills :

Justine Mills : Votre engagement prend racine au tout début de votre carrière quand vous rejoignez le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception en 1974 et organisez les avortements que les gynécologues refusent de pratiquer ; vous le faites, dites-vous, pour sauver des vies. Désormais à la retraite, votre engagement pour les droits des femmes et des sages-femmes reste entier. Vous êtes l’auteur de livres et DVD sur la parentalité et crevez l’écran dans le documentaire d’Aude Pépin, A La Vie. Merci Chantal Birman d’avoir accepté d’être parmi nous.

Vous dites que votre construction militante était symétrique à votre construction professionnelle. Quel a été le déclencheur de votre engagement ?

Chantal Birman : Mes parents syndicalistes m’ont fait comprendre qu’un individu n’existe que par le choix de sa responsabilité sociale. À 17 ans, quand je suis arrivée à l’école de sage-femme à la fin des années soixante, j’accompagnais à la maternité Baudelocque des femmes qui s’étaient infectées après s’être posé une sonde pour déclencher l’expulsion de l’œuf. Pour avorter, il fallait s’infecter, mais pas trop, pour éviter la salpingite, voire la septicémie. À l’époque, une femme par jour en moyenne mourrait d’avortement. J’ai acquis deux certitudes en observant ces femmes de mon âge : aucune d’elles ne voulait mourir, et aucune d’elles ne regrettait son geste, même aux portes de la réanimation. L’embryon de sage-femme que j’étais a vu qu’entre la vie et la mort, les femmes choisissent toujours la liberté. Quand j’ai compris ce message légué à travers l’histoire, je me suis juré de le transmettre à mon tour.

Justine Mills : Comment voyez-vous votre place de sage-femme au sein de l’hôpital ? En quoi est-elle particulière ?

Chantal Birman : L’hôpital est construit autour d’un savoir et d’un accueil de la maladie, mais en maternité, il s’agit d’actes de naissance normale dans 80 % des cas. Avant 1950, le territoire des sages-femmes se situait au domicile où elles faisaient autorité. Quand les chirurgiens barbiers devenus obstétriciens s’installèrent dans les hospices puis dans les hôpitaux, les sages-femmes quittèrent progressivement les domiciles pour entrer sur le territoire des médecins où ils étaient détenteurs du pouvoir. La physiologie s’est alors inscrite au sein de la pathologie, et a été écrasée.

Ainsi, notre système de santé ne peut plus garantir qu’une sage-femme soit disponible pour un accompagnement sans péridurale. Normalement, dans le cas d’un accouchement non médicalisé qui se passe bien, la sage-femme intervient lorsque cela devient trop violent pour la femme qui accouche qui croit qu’elle va mourir. C’est une petite mort. C’est à ce moment crucial, que les psychologues appellent le lâcher prise, que la future mère qui n’a plus confiance en elle, s’en remet à la sage-femme qui dispose d’un savoir ancestral, pas technique mais humain. C’est ce à quoi s’engage la sage-femme dans un accompagnement non médicalisé, mais cela implique du temps ; le système de santé actuel ne pouvant plus l’offrir, les sages-femmes finissent par réclamer elles-mêmes la péridurale. Pour couronner le tout, le temps qu’a libéré la péridurale est désormais englouti par la digitalisation des dossiers et c’est très dommageable.

Justine Mills : Quelles leçons de vie avez-vous tirées au cours de vos 50 ans de carrière en accompagnant ces mamans et ces papas dans ce moment extraordinaire qu’est la naissance ?

Chantal Birman: Au moment du lâcher prise dans les dernières phases de dilatation, la femme se met en retrait ; elle passe derrière son bébé physiquement, psychiquement et émotionnellement. Une fois qu’on lui met le bébé sur le ventre, elle est à la fois soulagée que son bébé aille bien, et libérée : pendant la grossesse, elle était à deux chez elle. Après l’accouchement, le blues intervient certes à cause de la chute hormonale mais surtout parce que, alors qu’elle est animée par le désir de réintégrer son corps, elle se découvre un corps liquidien : elle transpire, elle a des pertes, les seins coulent, elle pleure, tous les orifices sont dans l’écoulement. Après la naissance, elle est une femme flaque. Le travail de la sage-femme c’est d’être la paille qui va lui permettre de se s’aspirer.

Les hommes, quant à eux, découvrent, à l’accouchement, la puissance de leur femme. Lui, est inquiet pour la santé de sa femme et de son bébé, quand la femme est toute à la santé de son bébé. À l’arrivée du bébé, le père est immédiatement intéressé par l’individu qui habite ce nouveau-né, il cherche son regard ; la femme mettra plusieurs jours à entrer en communication avec son enfant. Le cadeau de l’accouchement pour un homme c’est la rencontre en premier avec son enfant.

Justine Mills : Quels sont, d’après vous, les prochains défis de la maternité et de la paternité ? Quelles recommandations souhaitez-vous formuler aux entreprises ?

Chantal Birman : Je voudrais vraiment qu’on parle du plafond de verre pour les mères. Il faut que les horaires de réunion se calquent sur les horaires scolaires. Il y a des entreprises qui prévoient des nounous à la maison pour les urgences. Pensons à l’endométriose qui empêche certaines femmes de travailler deux jours par mois. Levons le silence autour de la fausse couche : il y a des femmes qui font des fausses couches sur leur lieu de travail. Prenons en compte la période physiologique de baby blues, quand les femmes ont besoin d’être consolées, d’être maternées : et si l’entreprise accordait aux grands-mères qui travaillent encore, des congés pour aider leur fille ? En Espagne d’ailleurs, il y a des cours de préparation pour les grands-mères : que faire et ne pas faire ? J’ai quarante propositions que je serais ravie d’exposer aux DRH que cela intéresse.

 

LA QUESTION DU PUBLIC
Que pensez-vous du recul sur l’avortement un peu partout dans le monde ?

Je vous invite à rester mobilisées sur le terrain. Beaucoup s’insurgent par le truchement de la pétition mais c’est dans la rue que ça se passe, c’est dans la rue qu’il y a les médias. Face à la pénalisation de l’avortement aux États-Unis, 100 000 personnes avaient signé une pétition mais seulement 250 femmes étaient dans la rue. Soyons vigilantes.