Femmes et technologies : au-delà des idées reçues

Cette question préoccupe tout particulièrement les personnes du cercle InterElles dans la mesure où ce qui les rassemble est leur appartenance à des entreprises de haute technologique : l’expertise, pas uniquement scientifique ou technologique est au cœur de leur activité et en constitue le socle.

Les réflexions proposées ici résultent de l’implication d’une quinzaine de ces personnes et de l’apport de personnalités extérieures :
Catherine Vidal neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur,
Claudine Hermann présidente d’honneur de « Femmes et Sciences » et Vice présidente de la plateforme européennes des femmes scientifiques EPWS,
Marie-Hélène Therre, présidente de « Femmes ingénieures » et présidente de « Women in Engineering and Technology » WFEO-FMOI,
et Marie-Odile Lafosse-Marin, espace Pierre-Gilles de Gennes, ESCPI .
Des témoignages de salariés de nos entreprises enregistrés ont apporté un éclairage très vivant sur le vécu de personnes expertes ou non.
En outre, deux enquêtes ont été menées : l’une auprès des individus et l’autre auprès des entreprises et qui ont servi de révélateurs de nos habitudes, nos comportements et nos idées reçues sur les femmes et la technologie.
La première a permis de recueillir l’opinion de plus de 1100 cadres et non cadres, hommes et femmes (47 % d’hommes et 53 % de femmes), experts ou non. L’objectif était de leur demander leur avis sur leur perception de l’expertise et de la carrière d’expert. On constate que 59 % ne se considèrent pas comme experts et que parmi eux 74 % ne veulent pas devenir experts. Des résultats détaillés figurent en annexe.

En outre 90 % des 1100 personnes  ayant répondu pensent que pour développer l’expertise au féminin, il faut en premier lieu revaloriser les carrières scientifiques et technologiques tandis que 70 % affirment que l’éducation des filles est en question.Est-ce pour cela que les entreprises nomment moins d’experts femmes qu’hommes ? Est-ce pour cela que les femmes s’autocensurent s’agissant de leur carrière scientifique ou technique ? Autant de questions, de constats qui ont été partagés le 8 mars 2011 lors du colloque InterElles. C'est technique : Femmes et technologies

 

Nos entreprises ont mis en place ou projettent de mettre en place des carrières d’experts dans les domaines scientifiques et technologiques, mais pas seulement. Où en sont-elles de cette démarche, à la veille de la « guerre des talents » qui s’annonce, conséquence des départs massifs à la retraite ? Le potentiel d’emploi de ces filières est-il connu ? Ces filières peuvent être perçues comme davantage compatibles avec la vie familiale. L’orientation vers une carrière d’expert comparativement à une carrière de manager relève-t-elle du même désir d’équilibre ? Y a-t-il des rôles modèles dans l’expertise technique ? Qu’est-ce que la réussite d’un(e) expert(e) ? La parole des experts femmes est-elle crédible ?
La seconde enquête a permis d’examiner et de comparer les pratiques de reconnaissance des experts d’entreprises du réseau d’InterElles.
Les résultats montrent l’existence, tout comme pour les carrières de management, d’un « plafond de verre » (ou « plancher collant »), il n’y a pratiquement aucune femme dans le niveau de l’expertise le plus élevé. Elles sont quasiment totalement absentes des jurys mis en place pour la sélection des experts.

Catherine Vidal s’est attachée à démontrer qu’il n’existait pas de différence entre cerveau féminin et cerveau masculin. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur une analyse critique des publications scientifiques publiées qui traitent de la question depuis de nombreuses d’années et dont on peut mettre en cause très fréquemment le sérieux tant les critères élémentaires de rigueur sont trop souvent absents.
⇨ retrouvez Catherine Vidal en live

De son côté Marie-Odile Lafosse-Marin nous a proposé une analyse passionnante des représentations des scientifiques par les enfants de classes primaires (Elle vient de soutenir une thèse). Il est frappant de noter que lorsque l’on demande à des enfants de dessiner un ou une scientifique :
Les FILLES dessinent

  • autant de femmes que d’hommes en CE2
  • beaucoup moins de femmes que d’hommes en CM2 : 27% contre 55%

Les GARCONS dessinent

  • aussi peu de femmes scientifiques en CE2 qu’en CM2 : 1%

Pour progresser elle nous a décrit le dispositif d’enseignement collaboratif : ASTEP (Accompagnement en Science et Technologie à l’Ecole Primaire). Il s’agit d’interventions de jeunes scientifiques en majorité étudiants dans les écoles primaires afin de constituer un duo avec l’enseignant pendant une dizaine d’heures.
A titre d’illustration, voici le dessin très coloré et très gai d’une jeune élève après une telle intervention.

 

femmes et technologies 2

Partant de l’expérience acquise lors de la collecte des dessins et des échanges, Marie-Odile nous a proposé un outil de dialogue pour enseignant/enfant ou parent/enfant que vous pouvez retrouver sur l’Espace des Sciences de Pierre-Gilles de Gennes.
A l’autre « bout » du cursus scolaire, Dominique Mathot a fait part de l’expérience acquise par le cercle InterElles lors de ses interventions en école ou en université pour répondre aux questions que se posent les futurs diplômés au moment du choix de leur premier emploi.
Claudine Hermann a souligné l’importance de ce type d’intervention, la tâche est vaste, toutes les initiatives doivent être encouragées, comme celle de Femmes et Sciences.

Marie-Hélène Therre a fait partager le retour d’expérience de l’association qu’elle préside. Les jeunes diplômés ont en tête de nombreux stéréotypes sur l’entreprise et la place des femmes qu’il faut patiemment essayer de détruire, les témoignages sont de toute première importance. Plus d’information sur  www.femmes-ingenieurs.org.

Partant des enquêtes et des témoignages quelques bonnes pratiques ont été identifiées susceptibles de revaloriser l’expertise, de crédibiliser les travaux des expertes et d’encourager les jeunes filles à embrasser une carrière technique ou scientifique :
• Poursuivre, dans le monde de l’éducation, les actions de sensibilisation aux études scientifiques et techniques,
• Féminiser tous les viviers experts/managers,
• Mieux informer,
• Mettre en place un mentorat,
• Créer et faire vivre des passerelles pour ne pas donner le sentiment qu’une carrière d’expert est une voie sans issue,
• Solliciter les experts internes avant de recourir à des experts externes.

Pour retrouver nos intervenantes en librairie:

Catherine Vidal et Dorothée Benoit-Browaeys : « Cerveau, sexe et pouvoir » Belin
Catherine Vidal : « Hommes et Femmes avons-nous le même cerveau ? » Le pommier

Marie-Odile Lafosse-Marin « Dessine-moi un scientifique » Belin

L’échantillon :
• 1131 personnes interrogées parmi les entreprises membres du cercle Interelles (Air Liquide ;Areva ;CEA ;EDF;France Telecom ,Orange ;GE ;IBM ;Lenovo ; Schlumberger ;Thales)
• 47 % des personnes interrogées sont des Hommes, 53 % sont des Femmes. 63% des personnes interrogées ont entre 31 et 50 ans.
• 81% des personnes interrogées sont cadres , dont 58% ont une formation Bac +5 scientifique .

Les résultats
Sur 1131 personnes interrogées, seul 41 % se reconnaissent expert et pour celles-ci 27% ont été nommées expert au sein de leur entreprise.
Pour les 59% qui ne se reconnaissent pas expert, seul 15% seraient tentés par une évolution vers les carrières d’expertise.

Pourquoi donc tant de désintérêt pour ces filières ? les personnes interrogées répondent :
– l’expertise enferme dans un seul domaine et ne permets pas la diversité
– l’expertise n’offre pas d’évolution de carrière ni de visibilité
– il faut du temps pour être un expert ce qui n’est pas possible passé un certain âge.

Pour ceux qui ont évolué ou sont en cours d’évolution (56 %) vers l’expertise les principales difficultés rencontrées dans cette évolution sont :
– le manque de temps / le manque de réseau
– le manque d’information / les freins liés à la hiérarchie

A contrario la même question sur les difficultés rencontrées lors de l’évolution vers un cursus d’expertise posées à l’ensemble de la population semble montrer des résultats opposés.

En revanche pour 37% des experts ou en instance d’évolution, ce changement procure des satisfactions tant personnelles que professionnelles. Le bémol de non satisfaction reste de manière unanime, la non existence d’un titre reconnu au sein de l’entreprise ainsi que le manque de visibilité.

Sur l’ensemble des personnes consultées 51% ne connaissent pas l’existence d’un cursus « experts »,et 65 % ne savent pas si un programme de mentorat pour aider à orienter vers la filière expertise existe au sein de leur société.

Et les femmes dans tout cela ?

La visibilité de la femme n’est pas clairement établie :

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Un certain manque de rôle modèle :

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Leur crédibilité est plutôt bonne . 24 % de la population la jugent excellente mais il leur faut du temps pour pouvoir convaincre.

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Les interrogés s’accordent à trouver des différences entres les cerveaux Hommes et Femmes, pourtant celles-ci sont tout autant capables.

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Comment aider les femmes à évoluer vers l’expertise ?

L’orientation doit commencer à l’école ensuite l’expertise doit être mieux valorisée. Il faut que nos entreprises améliorent la visibilité sur ces métiers à travers :
– l’existence de rôles modèles, de groupe d’experts reconnus
– la valorisation des métiers technologiques.

et proposer des plans de carrières.

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2011 – Anne-Marie Birac, Luc Bretones, Aline Aubertin, Martine Bridenne, Claire Duranton, Sylvie Esterlin, Caroline Kauffmann, Marianne Lepolard, Doris Neumann, Cécile Roche, Souad Tenfiche, Michèle Villard