Le jour où j’ai réalisé l’importance d’être une femme

 

Elisabeth Kimmerlin
directrice de la division e-business  pour l’Europe de l’ouest, IBM
8 mars 2002

Je me suis vraiment rendue compte que j’étais une femme dans l’entreprise et je me suis vraiment considérée comme une femme, la première fois où j’ai dû entrer dans le bureau de mon manager pour lui dire que j’étais enceinte. Parce que c’est le moment où ma vie privée est venue complètement en collusion avec ma vie professionnelle. Jusqu’à ce moment-là, je m’étais considérée comme une professionnelle, qui faisait a priori bien son travail et reconnue pour cela. Du jour au lendemain, il fallait que j’assume le fait qu’effectivement j’allais partir en congés de maternité et que mon rythme allait changer.

C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait absolument que j’arrive à maintenir un équilibre entre les deux. Et je m’y suis attachée tout le temps. C’est resté extrêmement important depuis, de m’y tenir et de tenir bon.


On a un peu trop souvent encore le réflexe bonne élève. Dans le milieu professionnel c’est différent, cela ne suffit pas de très bien faire son travail. Il faut quelque part le faire savoir et, on se rend compte au fur et à mesure, qu’il faut en faire un peu plus. Il faut passer la porte du bureau du manager, lui dire très clairement : « Voilà ce qu’on a fait », ou alors passer la porte du bureau du manager en disant : « Est-ce qu’on pourrait parler augmentation de salaire ? » Il n’est pas indécent pour une femme de parler argent. On a le droit d’en parler aussi. En fait, ces verrous psychologiques, probablement liés à l’éducation qui font que c’est difficile, j’ai dû les faire sauter les uns après les autres.


L’autre point qui m’a aidée quand même au départ, c’est que j’ai été pendant assez longtemps la seule femme à exercer un certain métier de manager à la compagnie ! Dans ces cas là, c’est plus facile de se faire repérer. Dans les meetings ce n’est pas compliqué, on est la seule femme ! Il y a un certain nombre de choses effectivement qui aident.

Et puis, la deuxième anecdote qui m’est revenue hier en tête, c’est quand j’ai été nommée manager à ce type de poste. J’étais relativement jeune, j’avais moins de 30 ans. J’allais être la seule femme et en plus la plus jeune de l’entité. J’ai eu un coup de téléphone extrêmement amical du patron de la fonction en question qui m’a dit : « Ecoute Elisabeth, on t’a nommée. Il faut que tu saches que c’est contre mon avis. Parce que tu es trop jeune et que tu es une femme ». Je peux vous dire que le premier meeting de département que j’ai fait, où il n’y avait effectivement bien sûr pratiquement que des hommes, je pense qu’ils ne s’en sont pas rendus compte, mais j’étais morte de trouille !


Au début quand on me posait la question du management au féminin, je la refusais. Je me disais : « On est manager, point. Homme ou femme, c’est pareil. On a les mêmes responsabilités, donc on doit être pareils ».

Et puis, effectivement, je crois maintenant qu’on a vraiment quand on est manager femme la volonté de faire progresser l’ensemble de son équipe. On occupe un poste pour l’intérêt du poste, son contenu, mais également pour faire progresser une équipe. C’est peut-être aussi un côté féminin, qui est quelque chose d’à peu près équivalent au fait de regarder grandir des enfants. On veut faire progresser, on a envie de faire progresser l’équipe et quelque part on attend beaucoup de la valorisation à travers l’équipe que l’on manage, peut-être plus que les hommes. C’est à dire que le regard que les équipes portent sur nous et la façon dont elles nous reconnaissent en tant que manager, je crois, a beaucoup d’importance pour nous, peut-être plus que pour les hommes.

Le deuxième point c’est que je crois qu’on a une forme de management qui est peut-être plus en collaboration, même si on est capable de décider vite.


Et troisièmement, il faut effectivement qu’en tant que manager avec nos pairs, donc avec ceux qui sont hommes au même niveau que nous, il faut qu’on soit en permanence en veille. Je pense que c’est quelque chose d’important, parce qu’on est sorti du mode pionnier : « La première femme ceci, la première femme cela » . Ce qui avait un côté un petit peu confortable… Si effectivement on veut en faire venir d’autres et que d’autres progressent, il faut veiller à cet aspect réseau et au fait qu’on doit le mettre en place ce réseau.

Elisabeth Kimmerlin est maintenant membre active de l’association Paris Pionnières et du conseil d’administration de Femmes Business Angels