Diversité des genres, diversité des cultures: so what?

Les entreprises du cercle InterElles sont toutes des entreprises globales, évoluant dans un contexte international. Pionnières en matière de diversité des genres, doivent-elles exporter cette politique ou la définir au cas par cas en fonction des pays ? La place et l’image de la femme sont-elles différentes selon les cultures ? Les obstacles rencontrés sur le chemin vers le pouvoir sont-ils les mêmes? Est-ce que les initiatives adoptées en faveur des femmes sont transférables d’un  pays à l’autre? Doit-on et comment tenir compte des spécificités culturelles ?

Atelier animé par Laurence DEJOUANY et  Nathalie LECOQ (GE) avec Sandra BIGNON (France Telecom Orange), Karima BOUMEDIENE (IBM), Madeleine BUCQUET  (IBM), Valérie DESNOUX (GE), Rama EL SAFTY, Bérengère FANTIN-LIN (Lenovo), Jole GARGIUOLO (Air Liquide), Hitomi ISHIGURO (Air Liquide), Smita MISHRA (France Telecom Orange), Marine RABEYRIN (Lenovo), Andréa SULTAN (France Telecom Orange), Sylvia SUNDQVIST (Schlumberger), Jessica WALKER (Areva).

 

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Il y a quelques années, une femme du Cercle InterElles nous racontait comment en Inde son collaborateur indien l’appelait « Sir ». Un anglais qui leur avait rendu visite sur le site, où elle était la seule femme, avait questionné les hommes: « Qu’est-ce que ça fait de travailler avec une femme? ». Ses collègues avaient répondu: « It’s just another kind of guy! »
 

Dans un contexte international, les femmes deviendraient-elles « des hommes comme les autres » ? Ou bien la mixité serait-elle soluble dans la diversité ? C’est-à-dire qu’en franchissant les frontières, les femmes franchiraient aussi celles du genre ? Quelle liberté y ont-elles acquise ?

Que font nos entreprises dans ce domaine ? Jouent-elles un rôle pour les femmes des pays dans lesquels elles interviennent ? Que vivent ces femmes qui franchissent les frontières ? Et celles qui, sans quitter leur pays d’origine, côtoient au quotidien managers ou collègues de culture différente ? Comment se repérer dans tant de codes différents ?

Face à ce nouveau puzzle les femmes de cet atelier, françaises ou expatriées, qui ont travaillé dans 19 pays différents, ont identifié la place que la société assigne aux femmes dans ces différentes cultures, l’aide que les gouvernements leur apportent, les opportunités créées par les entreprises internationales, ainsi que les obstacles.

Cette richesse de notre groupe fait que nous avons jugé suffisant d’utiliser avant tout nos propres expériences. Nous avons aussi finalement été pour nous même un « auto-observatoire » passionnant en terme d’échanges et d’interactions interculturelles !

Nous avons demandé aux femmes du groupe : comment ça se passe pour les femmes dans les pays où vous avez travaillé ? Qu’est-ce que vous identifiez comme leviers et freins à leur carrière ?

Nous avons pu ainsi identifier plusieurs dimensions déterminantes :

  • La première, c’est l’accès à l’éducation pour les filles : d’abord pouvoir aller à l’école, puis à l’université.
  • La deuxième, c’est la prise de conscience dans un pays que les femmes ont un rôle à jouer dans la société et le développement économique.
  • La troisième dimension déterminante, qui joue bien souvent comme frein, c’est l’attitude de la société face au rôle de la mère dans la garde et l’éducation des enfants avec, comme concomitante, les politiques de soutien à la natalité.

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1 – Pour la première dimension, l’accès des filles à l’éducation:

  • Dubaï, le taux d’étudiantes a été multiplié par 14 depuis les années 70. De gros progrès ont été réalisés grâce à une politique gouvernementale incitative, garantissant l’égalité des droits entre hommes et femmes. Une instance internationale comme l’UAE Women’s Federation intègre cette dimension dans la loi musulmane. Toutefois dans les entreprises, à personnel expatrié à 80%, le management reste masculin.  Les femmes éduquées, qui pourraient prétendre à des carrières au risque d’affronter la tradition, n’ont pas de motivation économique et restent chez elles. 

2 – La deuxième dimension, la prise de conscience de l’importance du rôle de la femme dans la société et le développement économique, qui peut être impulsée par les gouvernements :

  • En Egypte la place de la femme dans la société fait partie des priorités gouvernementales, soutenue par l’engagement de la femme du Président qui a créé le Leadership and National Council of Women, précédemment dirigé par Madame Sadat. De véritables progrès ont été réalisés dans le domaine de l’éducation, de l’économie et de l’activité politique. Mais la participation politique des femmes reste encore limitée et l’influence des incitations gouvernementales se cantonne au secteur public, bien plus que privé.

C’est là que le rôle sociétal des entreprises internationales peut être important, en soutenant les carrières des femmes.

  • A Abu Dhabi seules les compagnies occidentales emploient des femmes ingénieures. Ce qu’on accepte d’une femme occidentale n’est pas accepté d’une femme du pays. Pourtant celles-ci souhaitent travailler et trouvent ainsi des opportunités dans ces compagnies. Elles sont aidées par le bas coût de la main d’œuvre locale qui permet d’avoir des employés de maison s’occupant des enfants. Cela leur permet de continuer à travailler une fois mariées. Mais elles ont du mal à se faire reconnaître dans les métiers techniques. C’est important que l’entreprise internationale le comprenne et les soutienne. La distance observée localement à l’égard des femmes les met par contre à l’abri de l’humour sexiste.
  • En Inde, malgré l’égalité affichée, les femmes sont peu présentes dans les domaines techniques et les métiers d’ingénieurs. Mais elles sont appréciées des entreprises, qui leur font une place pour leur rigueur morale, leur moindre absentéisme, leur ardeur au travail et leur fidélité à l’entreprise. Toutefois les écarts de salaires avec les hommes perdurent. Les femmes négocient peu dans ce domaine. Leur « culture bonne élève » qui les rend appréciables, se retourne contre elles…

Mais elles se heurtent parfois aussi à une culture très conservatrice. C’est le cas ainsi au Japon où elles affrontent tout à la fois:

  •  formalisme,
  • respect des seniors,
  • et de la hiérarchie,
  • un temps de travail extensible à l’infini,
  • et des normes très contraignantes: la perfection comme objectif et l’obligation de ne jamais mettre quelqu’un en difficulté, ni de lui faire perdre la face.

Une place y est faite depuis 10 ans aux femmes managers. Mais elles ne sont toujours pas traitées comme les hommes. Donc une entreprise internationale peut introduire d’autres comportements par le biais de ses managers expatriés, mais elle rencontre toujours la résistance du management local qui se sent exploité et incompris dans sa culture. Quand ces managers expatriés retournent dans leur pays, la tradition reprend ses droits

 3 – La troisième dimension déterminante c’est l’attitude face à la maternité :

  •  En Inde, comme au Japon, la culture traditionnelle fait que dès que les femmes ont des enfants elles doivent réintégrer le foyer.
  • Au Maroc une nouvelle génération de femmes s’engage dans la vie professionnelle. On peut avoir des doutes sur ce qui se passera quand viendra pour elles l’âge d’avoir des enfants, dans une société encore très traditionaliste.

Et plus proche de nous en Europe, en Suisse ou en Italie, on rencontre la même situation:

  • En Suisse une culture très traditionaliste prédomine quant au rôle de la femme. De ce fait elles sont peu nombreuses à travailler et bien souvent à temps partiel. Les entreprises internationales toutefois donnent l’exemple en faisant une place aux femmes, en nommant des femmes aux poste clés et en travaillant sur l’équilibre vie privée et professionnelle. Mais cette politique est peu relayée dans l’opinion publique.
  • L’Italie se montre plus traditionnelle que la France, avec le poids de l’institution catholique encore très conservatrice. Les femmes ne peuvent donc pas compter sur un soutien familial à la garde des enfants et ont en moyenne un enfant au lieu de deux comme les françaises. La gestion du temps reste difficile pour les femmes qui travaillent. Les discriminations persistent dans les recrutements, les filières professionnelles et les rémunérations. Très peu de femmes accèdent aux responsabilités tant managériales que politiques. Mais le débat sur l’égalité a démarré dans la société, soutenu par le « quote rosa », une loi en faveur de la parité dans le monde politique.
  • Alors qu’en Suède la culture de l’égalité est très solidement installée dans les mentalités, soutenue par une politique gouvernementale cohérente. Ainsi les hommes sont véritablement encouragés à prendre des congés de paternité.
  • En Roumanie la chute de la natalité entraînée par le souci de faire carrière des femmes, amène le gouvernement à lancer une nouvelle politique favorisant la coexistence des deux.

Et puis, une situation originale : toutes les expatriées de notre échantillon pointent l’exemple de la France où il leur semble que l’équilibre de vie est possible pour les femmes. Car nous bénéficions à la fois:

  • d’une politique de soutien à la famille,
  • de structures d’accueil de la petite enfance,
  • mais aussi de pères qui s’impliquent dans l’éducation des enfants
  • et qui se soucient de la carrière de leur femme.

L’aide que les entreprises pourraient apporter aussi aux femmes pour poursuivre leur carrière quand elles ont des enfants, c’est le modèle de disponibilité et d’amplitude horaires qu’elles importeraient… ce que nous n’avons pas constaté. En effet, d’un pays à l’autre les modèles culturels sont très contrastés :

  • L’Angleterre favorise des horaires peu étendus.
  • En Pologne, les horaires tardifs le soir ne sont pas la norme.
  • En Norvège la journée de travail prend fin à 16h… carrément le rêve!
  • A l’autre bout du scope le Japon où l’on travaille facilement 14H par jour, weekends souvent compris.
  • A Taiwan la disponibilité requise peut être tout aussi importante, weekends et soirées comprises, bien que le rythme de travail soit beaucoup moins soutenu qu’au Japon. Mais les femmes peuvent facilement être secondées dans les tâches ménagères, compte tenu du faible coût de la main d’œuvre.

Franchir les frontières

Dans ce groupe nous avons entendu que dans certains pays, en Inde, à Abu Dabhi, en Amérique Latine la hiérarchie des genres en entreprise pouvait être bousculée.

Donc nous nous demandions :

  • Face à la diversité des cultures, est-ce que la dimension du genre n’a plus d’importance ?
  • Pouvons-nous franchir cette frontière là aussi ?

Voici ce que nous retiendrons:

  • Quand la diversité des équipes est vraiment importante, la valeur d’une personne prime sur son appartenance de genre ou de culture.
  • Quand les femmes franchissent les frontières, elles sont amenées aussi à franchir leurs frontières psychologiques. Les témoignages entendus dans le colloque le confirment.

Nature de l’échantillon

15 femmes ayant vécu ou travaillé dans 19 pays, toutes résidant actuellement en France, dont :

7 françaises, 1 japonaise, 1 suédoise, 1 italienne, 1 singapourienne, 1 indienne, 1 égyptienne, 1 roumaine

Chaque individu en fonction de ses origines et de ses expériences a une perception différente de la diversité au quotidienNéanmoins, nous avons constaté dans les entreprises du réseau InterElles une politique en faveur de diversité des genres souvent commune à toutes les entreprises et globale dans une majorité de pays. Ces politiques sont ensuite déclinées selon les législations et cultures de chaque pays.

Ces politiques s’articulent autour de 3 objectifs clés :

  • Renforcer la mixité dans les entreprises, en particulier dans les métiers techniques pour certaines entreprises, où il est plus difficile de recruter.
  • Renforcer la mixité sur les postes à responsabilité, où les femmes sont le moins représentées.
  • Favoriser la conciliation vie privée-vie professionnelle (dont les enjeux sont  vus dans l’atelier « Le temps des femmes »).

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Ces trois axes politiques en faveur de la diversité des genres se déclinent de façon concrète en fonction de la législation locale (ex : égalité salariale en France d’ici fin 2010[1]), et des engagements et actions RH locaux (ex : Accords Entreprise)

Exemples de mesures communes dans la plupart des groupes et des pays:

  • mise en œuvre de réseaux féminins technologiques ou non et internationaux,
  • déploiement de programmes de formation et de coaching,
  • mentorat,
  • communication auprès des jeunes femmes attirées par les sciences pour les inciter à entamer des études d’ingénieur.

Ce que nous avons pu observer dans notre atelier c’est que les entreprises du réseau InterElles vont parfois encore plus loin en s’accommodant au plus près des spécificités culturelles locales, toujours dans une optique commune de favoriser la diversité des genres à tous les niveaux de l’entreprise.

Citons par exemple:

  • la Lybie où certaines entreprises mettent à disposition un accompagnement afin de permettre aux femmes de participer à des formations,
  • le Niger, où certaines entreprises financent les études de jeunes filles à fort potentiel afin de leur proposer à terme un poste dans leur pays.

Enfin, un exemple qui impacte la diversité dans son ensemble :

  • l’Inde où dans certaines entreprises, afin de lutter contre les discriminations, la représentativité des castes en entreprise est suivie (la notion de caste a été ajoutée aux données des salariés)

[1] (Loi du 23/03/2006) égalité salariale Femmes/Hommes d’ici le 31/12/2010 et un engagement pour aider les collaborateurs à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale